Allocution prononcée par Jean-François TALLEC, à l’occasion des journées européennes de la mer, à Gijon, du 19 au 21 mai 2010 Madame la Commissaire, Mesdames et Messieurs les Ministres et Secrétaire d’Etat, Madame la Députée du Parlement Européen, Mesdames et Messieurs. Je souhaite tout d’abord remercier particulièrement le gouvernement espagnol, Madame la Ministre, pour la qualité de l’accueil qui nous a été réservé, hier à l’occasion de la réunion des points focaux de haut niveau ou pour cette magnifique réception à bord du Principe des Asturias, ou aujourd’hui pour cette session plénière. Merci à la commission européenne de la qualité des échanges que nous avons ensemble. Mes remerciements vont aussi à la Principauté des Asturies et à la ville de Gijon qui nous donnent l’occasion de découvrir votre région. Et puis ce fut un grand honneur pour les représentants français que ces journées de la mer soient présidées par leurs Altesses Royales. A la fin de l’année 2009, le Premier ministre, répondant à une demande formulée par le Président de la République, a adopté une stratégie nationale pour la mer et les océans. Cette démarche stratégique est nouvelle pour notre pays. Si vous vous rendez à la bibliothèque de l’UNESCO à Paris, vous y trouverez un ouvrage qui résume les stratégies pour la mer des grands pays maritimes au monde. La France n’y figurait pas. C’est cette lacune qui est désormais comblée. 1 Qu’avons-nous voulu faire en publiant cette stratégie ? Cette stratégie est à la rencontre de trois idées fortes. -la première est la conviction, intuitive certes, mais de plus en plus appuyée sur l’expérience, que c’est en mer que notre planète trouvera les réponses aux problèmes qu’elle ne parvient plus à résoudre à terre. La mer est inexplorée dans ses profondeurs et ses ressources énergétiques sont pour certaines infinies car renouvelables. Mais pour réussir cela, il faut aussi savoir la protéger parce que le paradoxe est que cette énergie infinie ne signifie pas une capacité infinie d’absorber nos déchets ou de supporter des prélèvements. -la deuxième idée est que notre pays, même s’il n’est pas le seul dans cette situation, se doit d’assumer ses responsabilités dans la protection et l’exploitation raisonnée des océans du fait de l’étendue des zones maritimes placées sous sa juridiction. -la troisième idée est celle de l’unité du milieu marin qui voue à l’échec toute approche partielle ou sectorielle des questions maritimes. Fondée sur ces trois principes, notre stratégie organise les synergies entre le développement durable des filières économiques, la protection de l’environnement marin, la recherche, la formation, la surveillance, la politique de défense, la politique étrangère, le développement de nos territoires d’Outre-mer. Elle se place délibérément dans le cadre tracé par la politique maritime intégrée européenne dont vous assurez, Madame la Commissaire, le développement. Cette stratégie trace le chemin d’un développement économique orienté vers la mer en établissant en particulier des relations nouvelles entre l’Etat et ses partenaires. C’est la mise en route de ce développement économique fondé sur l’innovation que je voudrais illustrer maintenant de quelques exemples en soulignant particulièrement les possibilités de création d’emploi. 2 Un point crucial est de renforcer notre dispositif de formation maritime. Ceci signifie que nous allons rassembler nos quatre écoles d’officiers de marine marchande en une seule école pour lui donner plus de visibilité, une plus grande attractivité et pour offrir aux élèves un niveau plus élevé de formation. Ces écoles délivreront désormais un diplôme d’ingénieur. Des formations communes seront organisées avec l’Ecole navale formant les officiers de la marine nationale, l’école d’administration des affaires maritimes, les écoles formant les ingénieurs oeuvrant dans le domaine de la construction navale. Nous espérons attirer des jeunes plus nombreux vers ce secteur qui offre des emplois souvent non pourvus. Cela signifie aussi que nous avons à préparer les jeunes d’aujourd’hui aux emplois de demain. L’idée de métiers spécifiques nouveaux créés par les activités liées à la mer est en train de devenir un véritable défi auquel nous devons faire face si nous ne voulons pas manquer des opportunités d’emploi pour notre jeunesse. Si nous parlons d’éducation nous ne devons pas oublier la place tenue par nos universités. La plupart d’entre elles sont impliquées dans la politique que nous développons en France sous le vocable de pôles de compétitivité. Nous regroupons trois activités dans cette politique : 1-La recherche et le développement, fondés aussi bien sur des structures d’Etat que sur des investissements privés. 2-La formation, en relation avec les domaines de la recherche pour l’innovation. 3-L’industrie, qui a pour objectif de prendre le relais quand une technologie est assez mûre pour un développement commercial. 3 Ces trois domaines se nourrissent les uns des autres pour un développement fondé sur l’innovation, et c’est particulièrement vrai dans la mise en application de notre stratégie nationale pour la mer et les océans. Ces pôles de compétitivité sont des acteurs majeurs pour l’émergence de nouvelles technologies. En France, deux de ces pôles situés en Bretagne et en Méditerranée sont dédiés aux activités maritimes. Ce sont deux centres importants dans lesquels la croissance est générée par des projets innovants. Mais la croissance générée par les activités liées à la mer se construit à différents niveaux de transformation industrielle. Au début de ce mois de mai, à l’occasion du lancement à Lorient de la frégate Aquitaine, première d’une nouvelle série de navires pour la Marine, le Président de la République s’est adressé au monde maritime. Il a à nouveau souligné que le secteur maritime et l’industrie navale constituent l’un des piliers du développement économique de notre pays. L’entreprise qui a construit cette frégate est d’ailleurs un bon exemple d’un service de l’Etat, transféré au secteur privé, l’Etat restant néanmoins majoritaire, qui a su conserver un savoir-faire très ancien tout en développant ses performances et sa capacité à explorer de nouvelles technologies. Ne pas perdre son savoir-faire à l’occasion de mutations industrielles est à l’évidence un facteur de croissance dès lors que l’on traite de sujets où l’innovation est une condition du succès. Je voudrais aussi évoquer la conception du navire du futur. Comme d’autres pays en Europe et sans doute dans le reste du monde, nous réfléchissons à ce que pourrait être le navire de demain. Nous avons à garder à l’esprit qu’il n’a pas forcément besoin d’avoir un aspect futuriste mais qu’il doit faire le meilleur usage des nouvelles technologies pour réduire toutes les formes de pollution, pour améliorer l’efficacité en utilisant de nouvelles énergies et de nouveaux moyens de propulsion, pour réduire les impacts négatifs sur l’environnement en traitant les déchets et le bruit. Nous sommes très conscient du fait que ce navire du futur peut créer de nouveaux métiers, de nouveaux emplois et qu’il pourra améliorer notre compétitivité. 4 Si l’on garde un oeil sur le lendemain, ce qui est impératif quand on parle d’innovation, un vaste champ de croissance, aussi étendu et complexe que les océans eux-mêmes, est en train d’émerger. De nombreuses activités sont tout juste nées. Je veux dire par là que nous sommes au tout début de leur développement. Mais ce qui est clair, c’est qu’elles offrent de grands espoirs en terme de croissance et d’emploi. Les énergies marines renouvelables pour lesquelles nous installons à Brest une plateforme dédiée, dont la plupart sont encore en situation de développement technologique, vont appeler de nouveaux spécialistes et de nouveaux experts. Déjà des offres d’emploi sont publiées sur internet et des chasseurs de tête sont au travail sur les plus hauts niveaux car les énergies marines renouvelables vont réclamer du monde. Dans le même temps, les investisseurs commencent à comprendre ce que les mers peuvent apporter comme profit en utilisant ces énergies. C’est une nouvelle ère qui s’annonce, qu’il s’agisse de l’énergie du vent, de la houle, des courants marins ou de l’exploitation de la biodiversité pour des applications dans le domaine de la pharmacie ou des cosmétiques. Prenons l’exemple de la conversion de l’énergie thermique des mers. Au regard de cette technologie, nos territoires d’Outre-mer dans l’Atlantique, le Pacifique, l’Océan Indien sont d’énormes réservoirs d’énergie. Ces territoires ont une puissance économique potentielle considérable car ils pourront, dans un futur sans doute assez proche, créer de la valeur ajoutée. De la création à l’exploitation et à la maintenance, la conversion de l’énergie thermique des mers est en train de dessiner les contours de nouveaux métiers, de nouveaux savoir-faire et constituent ainsi un puissant réservoir de croissance. Nous nous apercevons aussi que des métiers d’aujourd’hui, je pense aux métiers de l’exploitation offshore, sont parfaitement transférables dans le domaine des énergies marines renouvelables. 5 En France, l’industrie de la navigation de plaisance présente aussi un intéressant potentiel de croissance lié à l’innovation. Les technologies de construction ont d’ores et déjà amélioré la qualité et réduit l’impact environnemental des chantiers comme des navires. Nous pensons par exemple que de nouveaux modes de propulsion utilisant l’énergie électrique alimentée par l’hydrogène peut aussi être à l’origine de nouveaux métiers. Je ne mentionnerai le secteur de la pêche que pour dire que l’innovation pour développer des techniques plus sûres, plus sélectives, préservant mieux la ressource est une condition du maintien de cette activité indispensable. J’évoquerai aussi, mais il y en a bien d’autres, un autre champ de croissance lié à l’évolution de l’industrie du transport maritime et des règles qui la régissent. Le concept d’autoroutes de la mer, qu’il est indispensable de développer, peut créer de nouveaux emplois, à bord, avec de nouveaux équipages, et dans les ports parce que l’accroissement du trafic nécessitera de renforcer la fonction logistique. Et j’ajouterai que les autoroutes maritimes (à ne pas confondre avec les autoroutes de la mer) qui sont des dispositifs d’organisation du trafic maritime dans certaines zones très fréquentées, par la mise en place de règles et de moyens de navigation et de sauvetage, sont des facteurs de croissance. En sécurisant ces zones de trafic, on crée les conditions du développement de la navigation maritime. Raccourcir la durée d’un voyage améliore les performances commerciales. Cette sécurisation s’appuie largement sur l’innovation particulièrement dans le domaine de l’information. La mise en place actuellement en cours d’une autoroute maritime dans le canal du Mozambique sous l’égide de la banque mondiale est un bon exemple de création d’emplois dans les pays riverains. Enfin, je ne saurais terminer cette présentation sans évoquer les projets de surveillance maritime partagée, Marsuno en Baltique et Mer du Nord, Blue Mass Med en Méditerranée. Nul doute que ces projets seront aussi des sources fécondes d’innovation technologique. 6 Mesdames, Messieurs, nous sommes convaincus que le développement de notre politique maritime intégrée doit aussi être considéré comme le développement d’une politique de l’emploi, prenant toute sa place parmi d’autres. Par mauvais temps, aucun capitaine ne peut admettre de perdre un seul homme. C’est la même chose pour l’industrie maritime, qui est de vieille tradition et qui n’aime pas séparer d’une partie de ses équipages. La politique maritime intégrée apporte à chaque membre une base, une structure et une capacité de planification dans laquelle l’innovation tient une place majeure car elle offre de la visibilité aux opérateurs économiques. J’adhère donc totalement à l’idée que la politique maritime intégrée est une politique tous temps, aussi bien adaptée aux petites brises favorables qu’aux vents contraires qui soufflent parfois sur nos efforts de progression économique. Il est évident pour la France que la mer porte de nouvelles opportunités d’emploi et un nouveau savoir-faire durable. Nous avons longtemps considéré la mer comme un réservoir de ressources ou comme un lieu de loisir. Nous savons aujourd’hui qu’elle est notre avenir et qu’elle porte nos espoirs. Merci pour votre attention. 7